15 mars. Je vais livrer quelques exemplaires d’HEARTIST à Paris. L’un est destiné à Perrine, dessinautrice. Un autre à Julia, journaliste pour Terre-Écos. Je rencontre les deux pour la première fois, et déjà, l’envie de reprendre les carnets me saute au cœur. Les conditions ne sont pas réunies pour étaler les heures, car quelques-unes auparavant, le confinement venait de pointer son pied-de-nez aux terrasses. Je profite alors de ce dernier jour de mobilité libre. Les livres sont désormais entre les mains de leurs destinataires. Je les quitte en leur disant : « On se re-croise bientôt ». Ou bien plus tard. Lorsque j’ai commencé d’écrire HEARTIST, j’ai été prise d’une envie subite, puis d’une boulimie de rencontres et d’échanges. Plus j’en mangeais, plus j’en voulais. Plus j’écoutais, plus j’entendais. Plus Elles et Ils se livraient, plus le livre naissait. Le livre est né. 16 avril. Les rencontres me manquent. Les premières fois aussi. Les échanges, encore plus. Il paraît que ce temps est celui de l’introspection. Il l’est sans doute. Mais je crois aussi très fort en celui de l’interspection (est-ce que ce mot existe déjà ? Ouf). Interspection vs Introview ? Je me suis souvent interrogée sur comment était né HEARTIST ou plutôt pourquoi ? Pourquoi avais-je ressenti le besoin pressant et omniprésent d’aller vers l’Autre, prendre sa parole, avec son accord, la transcrire et la faire converser avec les autres Autres. Souvent. Je ne suis pas sûre d’avoir trouvé une réponse, mais j’émets des hypothèses. L’une raconte qu’en allant chercher l’Autre, je cherchais Moi. Ou peut-être je cherchais ce qu’était la relation entre Moi et cet Autre. Et entre Moi et cet autre Moi. Qu’est-ce qui nous faisait vibrer, qu’est-ce qui nous différenciait ou nous opposait ? Ou ce qui nous rassemblait. Dans ma boîte à idées, j’ai aussi eu celle de me diriger vers Celles et Ceux que je détestais. Et j’avais beau me dire «Comment ?!! Moi ?!! Impossible, mon Moi ne déteste personne !». Et bien si. Comme je déteste sans doute des parties de Moi, je devais aussi détester des parties de Eux. C’Elles et C’Eux qui m’insupportent par leurs actes, par leurs pensées, par leurs propos. Propos que je n’avais pourtant que très peu rencontrés. Mais j’avais une excuse parfaite : pourquoi perdre mon temps à rencontrer ces Autres que je n’aime pas, alors que cette Planète regorge d’autres Autres que j’adore ?! Non, vraiment, je n’avais pas de temps à perdre. Ni à prendre. Donc. Et puis comme un autre pied de nez à mon projet, j’en ai pourtant rencontrés. Des méchants - c’était les plus gentils -, des intolérants, des pas-sympas, des pas-comme-Moi... des Autres, quoi ! C’Elles et C’Eux qui m’insupportaient ; non pas par leurs propos - que je me devais d'écouter, mais parce que justement je ne parvenais pas à les détester. Totalement. Pénible de constater que j’avais de la compassion pour ce Fan de tauromachie qui donnait du sens à sa culture (valait-elle moins que la mienne ?) ; encore plus pénible d’écouter cet Autre me parler avec passion de 'Ses Jeunes', celles et ceux à qui il apprend la tolérance et à jouer ensemble tous les mercredis et tous les week-ends. Et d’entendre tout son dévouement à cette communauté qui n’aurait ni vestiaires ni sandwiches les jours de matches s’il ne se levait pas à 5h du matin ces mêmes weekends, pluvieux ou non, sans aucune contrepartie, et qui d’un coup franc, m’argumente en plein poumon sa définition des mots « Ensemble » et « Nous, quoi ! » en brandissant une carte du FN pour que je comprenne, intègre et absorbe ses propos. J’aurais aimé le détester. J’aurais aimé les détester. Oui, j’aurais aussi aimé détester mes oncles chasseurs. Et oui, je les détestais de l’être (chasseurs). Mais oui, je les adorais de l’être (oncles). Pénible d’écouter l’Autre. Parfois. Et pénible de se confronter à ses propres contradictions. Aussi. Alors sur le chemin d’HEARTIST, j’ai débuté un autre projet. Et même plusieurs. J’en ai mis de côté certains. Mais celui-ci n’a pas voulu. Du côté. Et il s’installe. En plein milieu. Aujourd’hui. 17 avril. Il a commencé par un titre : 'NOUS, SOMME'. Et une phrase, juste en-dessous, notée sur un carnet, dans un bus londonien, un soir en rentrant. Il était très tard, et je pense que nous n’étions plus que trois à l’étage. Ça suffit pour faire un Nous. J’ai griffonné ces quelques mots : « Si on enlève un millimètre à une année lumière, ça n’en est plus une ». Réflexion. Depuis, j’en ai noté des dizaines de plus. De phrases, d’exemples, de réflexions. Et aujourd’hui, je n’ai plus le droit de prendre le bus, mais j’ai les carnets qui fourmillent. Je constate que je ne peux écrire plus de lignes sans écouter Celles et Ceux qui les composent. Pour moi, elles naissent dans l’échange plus que dans la réflexion. Je l’ai dit plus haut, ces échanges me nourrissent. S’ils meurent, je m’éteins. Et me déteste. Je n’ai pas envie d’écrire sur le c**finement. Je lis beaucoup de textes brillants. J’entends beaucoup de propos moins éclairants. Et j’entends surtout des propos sur ces Autres, sur ces Moi, sur Nous. Sans m’y reconnaître. Tout le temps. Alors, j’ai envie d’écouter les confinés. Les urgents, les évidents, les indépendants, les reculés, les catégorisés, les enfermés, les on-ne-te-donne-pas-la-parole-puisqu’on-parle-pour-Toi, les 1+1=Héros ; des premières jusqu’aux dernières lignes. Les Nous, en somme. Le 15 mars, sur ce quai de RER, je prenais mon premier selfie sur Snapchat pour envoyer des papillons à des cœurs restés à l’air. Mais ça m’a beaucoup moins marquée que d’échanger avec Perrine et Julia, juste après. Ce 18 avril, je vais sans doute te solliciter pour une interview, parce que j’ai besoin de saisir un peu de ton air, de marquer et d’écrire le juste pendant. Marquer et écrire les traces de ces jours et de Celles et Ceux qui les composent. Jours et nuits ; pendant et après. Indépendants comme l’air. Interdépendants comme le diazote et le dioxygène. Respiration.
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